En début d'année, dans certains pays, il y a le coutume d'échanger des cadeaux appelées étrennes. Ce mot vient du latine « strena », qui veut dire « présage », « augure », à l'instar des bons augures qu'on transmets avec nos cartes de vœux.  Nous inaugurons donc ce blog et sa galerie d'objets graphiques avec le Temari, une étrenne qui vient du Japon. 

Temari, image Sun Tzu L'arte della guerra

Ce bijou d'abstraction géométrique prenant la forme d'une sphère brodée à la main, est traditionnellement fabriqué et offert par les mères japonaises à leurs filles, comme porte bonheur pour l'année à venir. Pour l'enfant, la première vision du nouvel An est alors une sphère étincelante de couleur dont les faisceaux de lignes colorées et chatoyantes symbolisent une année éblouissante.

Les Temari sont à l'origine des balles pour jouer (en japonais, "te" signifie main, et "mari" balle - signifie « balle à main »). D'abord avec les pieds, sous le nom de Kemari, des balles en cuir venant de Chine utilisé dans un jeu masculin proche du moderne Hacky Sack. Ensuite avec les mains, pour des jouets faits de kimono usés, à destination des enfants.

Au fil de siècles, les matériels utilisés ont changé et, avec eux, la fonction de l'objet. Au XVIIe siècle, brodé de matières de plus en plus nobles (fils somptueux, soies rares…), le Temari devient un objet d'art décoratif, apanage des classes aisées, alors qu'à l'époque Edo (XVIIe et XIXe siècle), avec la diffusion des fils en coton, elle se démocratise pour devenir un loisir créatif largement répandu. À l'époque moderne, et avec l'essor de l'industrialisation, les classes populaires préfèrent les balles en caoutchouc, plus accessibles. Le Temari est alors relégué à sa seule dimension folklorique, en tant que savoir-faire traditionnel.  

Aujourd'hui, son intérêt est relancé au Japon et aux Etats-Unis où de nombreux groupes de passionnés les fabriquent à nouveau. 

La Japan Temari Association est l'organisation de référence pour cet art. Elle offre un programme d'étude par niveau et délivre des certificats par niveaux de progression. L'art du Temari est en effet comparable à un art martial dont la maîtrise s'acquiert après plus de 40 ans d'observations.
En pratique, 3 étapes sont nécessaires pour la création d'un Temari : créer la base sphérique, (le Dodai Mari), diviser la surface et broder le motif.

La sphère de base - qui sera le fond de la broderie à venir - est composée par un poignet d'écorces de grains de riz enveloppé par un tissu, recouvert uniformément avec du fil épais. S'ensuit un fil de coton roulé de manière aléatoire de façon à superposer les différents couches.
L'étape la plus critique est la division de la pelote en sections réalisée grâce à des épingles autour desquelles sont enroulés des fils représentant les « lignes guides » - les Jiwari, littéralement les « territoires ». À l'image de la surface du globe, le mari est ainsi divisé en hémisphères, pôles, équateurs, latitudes et longitudes. Les lignes guides servent donc de repères pour la proportion et la symétrie du motif. 

En dernière étape les fils de broderie, qui peuvent être en coton, en soie, ou aux reflets métalliques, sont enveloppés, enfilés, repiqués, piqués, superposés en employant un répertoire très détaillé de points de broderie.

En effet chaque point porte un nom spécifique qui se révèle un mode d’emploi très précis du positionnement et de l'orientation des fils souvent exprimé par un'image évocatrice de la nature. C'est le cas du Chidori Kagari, un point en forme zig-zag inspiré du mouvement ascendante/descendante du vol de la mésange. 

Si la symbolique des motifs traditionnels japonais - la fleur de cerisier Sakura représente la beauté éphémère de la vie ou le chrysanthème kick est le symbole de longue vie - est encore très employée dans le création d’un Temari, les motifs ont évolués pendant les siècles et de pattern traditionnels évoquant de manière figurative la nature (des fleurs, des animaux, des vagues) ont laissé la place à des compositions mathématiques complexes qui jouent avec une large variété de formes géométriques. Des triangles, des carrés, des pentagones, des losanges répétés, imbriqués et entremêlés forment des motifs abstraits et kaléidoscopiques qui contribue à la beauté atemporelle du Temari. Mathématique et art se combinent ainsi étonnement de manière créative. 

Shapes

Les structures irradiantes et les géométries symétriques complexes de cet objet traditionnel d'une des plus anciennes cultures orientales renvoient à des objets modernes de la culture occidentale, à l'instar de certaines œuvres de l'abstraction géométrique européenne. Si on observe les diagrammes bidimensionnelsles utilisés comme schémas préparatoires des Temari, ils présentent une correspondance étonnante avec les ouvres sur papier d'une « artiste outsider » suisse Emma Kunz (1892-1963) que nous avons découvert dans le catalogue « Penta ».

Ses dessins colorés et hypnotiques se révèlent d'une finesse et d’une minutie impressionnante. L'artiste dessine ses œuvres de grand format sur du papier millimétré, à l'aide d'un pendule, d'un compas et d'une règle. Le pendule, qu'elle tient dans sa main droite au-dessus de la feuille, oscille et lui indique des points dont elle marque l'emplacement avant de les relier entre eux - au crayon à papier, à la mine de plomb ou au crayon de couleur. 

L'intention de ces dessins n'est ni formelle ni décorative. Ce sont les questions existentielles de la vie qui ont amené Emma Kunz à dessiner. D'origine modeste et sans formation artistique, naturopathe, radiesthésiste elle se considère alors essentiellement comme une guérisseuse. Elle modélise la structure et l'évolution des flux énergétiques et des forces intérieures dans sa pratique artistique. Chaque couleur, chaque forme, chaque ligne dispose d'une signification précise dans la compréhension de son monde. 

Dans une description de ses dessins on peut lire : « Parfois superposées pour créer de délicats effets de transparence, ses lignes d’une finesse arachnéenne s'étirent et se croisent comme des fils tendus pour former des faisceaux de rayons, composant des figures géométriques précises et ordonnées. » Ça vous rappelle quelque chose ? Oui, les structures brodées du Temari. 

Toutefois, au-delà d'une évidente correspondance esthétique, un lien plus souterrain et inaperçu relie les géométries imposantes de Emma Kuntz et celles minuscules d’une artiste de Temari. À la croisée du mandala et du pentagramme magique en volume, ces motifs hypnotiques irradient le spectateur qui les manipulent ou les observent.

Il s'agit du pouvoir envoutant du geste manuel - tirer des lignes, tirer des fils - capable de nous connecter à notre monde intérieur, d'exprimer ses propres forces intérieures, qui guérissent et qui apaisent, qui nous absorbe fébrilement et qui nous projettent dans un temps suspendu ou, comme pour Emma Kuntz, dans une dimension cosmique.

Le Temari est offert à nos proches, comme un message de bon augure, dépourvu des paroles. Emma Kunz, elle, transmet à la postérité ses prédictions tracés, sans pourtant donner de commentaires écrits à ses travaux. Notre vœux à toi cher lecteur, est de te laisser transporter, en silence, par la pureté intemporelle de ces géométries sacrées.